Au bord du canal,
Des feuilles accrochées à un grillage lentement pourrissantes,
Esquisses d'un tombeau sous le pont médiéval.
Ici ont plongé d'anciens soupirs
Échos d’âmes martyres.
Un corps déformé est resté accroché.
Un jupon gonflé d'eau, reflet.
Certainement autrefois des lèvres étirées en sourire,
Regard crédule où se lisait la foi.
-Qui reconnaîtra les siens dans l'abîme où n'existe rien?-
Visage et corps ne sont plus que boursouflures hideuses ;
Emotions noyées, indifférences passées
Rameaux de bois mort aux doigts entrelacés.
Troncs effrayants, forêts, brisées d'os,
Murmurent le souvenir d’une violence atroce.
- à côté du vieux pont une grille métallique à claire-voie
Enjambe ce sinistre d'autrefois.
Mon regard se perd à rebours.
Je tremble d'un vertige qui m'est étranger et j'entends...
Soupirs d'une âme lointaine,
Dame à la fontaine,
Se damne dans sa peine.
Je sens des bras forts autour de moi:
Le vertige est ignoble et m'attire vers le bas...
Des voix plus claires à mes côtés me crient de ne pas sombrer.
On me pousse on me bouscule
Il faut me faire traverser.
Sous ce pont le malheur s'est arrêté
Je me vois soudain plonger
À la rencontre de la noyée.
Des mains décharnées viennent me chercher,
Une voix désincarnée et blanche à mon oreille,
Des mots se cherchent, toujours répétées.
Je veux comprendre ce qu'il s’est passé.
Je me penche encore sur le parapet;
Les ombres des vivants s’effacent à mes côtés
Sanglots qui me laissent indifférente,
Je suis déjà murée dans l’absence.
J’effleure l'eau et n'ai plus peur.
Je n'aurai plus peur de rien ici,
Sourire immonde d'un crâne sans chair,
Elle m'appelle de sa voix claire,
Ma douleur amplifie son cri:
"Viens ma chérie
Je te promets le silence;
Sous l'eau on n'entend plus rien,
On ne ressent pas,
Tu vivras mes absences
Et tu comprendras enfin."
Un vertige, un pas, une bourrasque soudaine et j'ai basculé.
-de quel côté?