- Alors... déclarai-je après un temps. C'est là que nous allons ?

Alexander soupira.

- Probablement. Mais, ce n'est qu'une légende, aussi jolie soit-elle, comme l'Atlantide, si tu veux. Néanmoins, notre capitaine a la réputation d'être quelqu'un de vraiment très cupide. Tous les trésors l'attirent et surtout les plus inaccessibles.
- Nous sommes censés la capturer là-bas, cette Sirène aux Écailles de Lune ?

Il ne répondit rien, les yeux dans le vide. Nous ne cherchâmes pas à approfondir cette légende, ce qui ne m'empêcha pas de la trouver très poétique.

- Il y a une autre condition, reprit soudainement le pirate. La sirène doit être vivante et consciente. Ses écailles n'auront aucun effet sinon et le temple restera scellé à jamais.

Je réfléchis un instant à cette condition. C'était un extraordinaire moyen de pression pour cette sirène. Elle pouvait menacer de se tuer si elle n'avait pas tout ce qu'elle voulait. Il lui suffirait pour cela de voler une dague ou un pistolet à un pirate inattentif et tous ses vœux seraient ainsi exaucés.
J'annonçai à Alexander mon désir de me reposer et remarquai qu'il avait déjà fini la queue de poisson de sa sirène de bois. Puis, malgré l'humidité de la cale, je m'endormis très rapidement.

- Maman ? Maman ! Excuse-moi ! Pardon d'être partie, pardon, je n'ai pas eu le choix !

Elle se tient au loin, me tend la main. Je cours vers elle et je pleure. Je m'en veux tellement de l'avoir abandonnée. Je ne veux pas qu'elle parte, j'ai encore tant besoin d'elle.

- Maman ! Je t'aime, j'ai besoin de toi, pardon ! Pardon !

Mes larmes ruissellent sur mes joues, la tête enfouie dans le creux de son épaule. Elle prend mon menton entre son pouce et son index. Je lève les yeux.

- Qui êtes-vous ? je hurle avec horreur. Où est ma mère ?

Je hurle, je crie, je me débats de toutes mes forces. L'homme me maintient toujours le menton.

- Lâchez-moi ! Lâchez...

Je me réveillai assez violemment en sueur et terrifiée. Je respirai doucement pour tenter d'apaiser les battements de mon cœur, si rapide que je pouvais le sentir battre dans mes doigts.

- Leanne ? interrogea une voix à côté de moi. Que t'arrive-t-il ?
- Rien... Rien... balbutiai-je. Je... J'ai chaud. L'air est... étouffant.

Alexander resta un moment perplexe.
- Je t'ai entendue crier. Tu as dû faire un cauchemar, conclut-il.
- Peut-être, je... ne me souviens pas.
- D'accord, dit-il en s'accroupissant. Ça va mieux ?

Je hochai la tête avec un pâle sourire. Je n'avais pas dû dormir bien longtemps puisqu'Alexander gardait toujours ma cellule.
Je revis soudain le visage bienveillant et lisse de toute maladie de ma mère, sa main tendue qui m'appelait à revenir. Je me souvins des larmes coulant sur mes joues et son étreinte douce mais protectrice. Je me rappelai d'avoir couru vers elle, d'avoir eu la sensation de courir dans le vide, dans un nuage. Et cet homme... Cet homme effrayant. Qui pouvait-il bien être ? Et le connaissais-je seulement ?
Quelques minutes plus tard, j'entendis Alexander céder sa place à un autre geôlier et rejoindre les ponts supérieurs. Je tentai quant à moi de me rendormir mais mon cauchemar tournait en boucle dans mon esprit et ne me laissait aucun répit. Le matin vint pointer le bout de son nez. Je le supposai car je ne voyais pas la lumière du jour. J'entendis cependant distinctement les éclats de voix et les bruits de pas des pirates. Ceux d'Alexander, légers et discrets, devaient se mêler à ceux des autres membres de l'équipage, plus lourds et traînants. Je perçus également le quartier-maître brailler quelques ordres et les voiles claquer. Nous devions avoir le vent en poupe. Enfin... Ma connaissance en termes marins se limitait à quelques livres lus enfant et à l'écoute plus ou moins discrètes des conversations des marins rentrés au port. J'espérais toujours y entendre la voix veloutée de mon père, que je voyais très peu. Du moins, j'avais toujours imaginé qu'il avait une voix veloutée.