Des pas s'approchèrent. Devais-je réveiller Lugh ? Ou devais-je plutôt le laisser avoir le châtiment qu'il mériterait après tant d'années de pirateries, de tueries et de pillages ?

- Monsieur ? chuchotai-je, puis plus fort, monsieur ?

Il ouvrit une paupière et me toisa.

- C'est moi que t'appelles Monsieur ? (Je hochai la tête. Lui tourna la sienne quand il entendit les pas.) Ah... Merci...

Un grand baraqué, sûrement d'origine antillaise, maintenait Alexander par le cou.

- Il est chargé de lui apprendre une chanson, pour la baie, dit-il calmement d'une voix gutturale. Et toi, tu es chargé de le surveiller.
- Mon boulot, c'est de la surveiller elle, pas lui, rétorqua Lugh.
- C'est Krater qui m'envoie, ajouta l'antillais.
- D'accord, d'accord, marmonna-t-il de mauvaise foi.

Une fois relâché, Alexander vint s'agenouiller près de moi.

- Le capitaine m'a désigné pour t'apprendre une chanson, murmura-t-il avec un sourire.
- Pourquoi toi ? murmurai-je à mon tour.
- Parce que c'est toujours moi qui chante et qui joue de la guitare pendant les soirées autour d'un feu de camp. Te souviens-tu de la chanson ?
- Pas vraiment.

Il jeta un coup d'œil en arrière à Lugh avant de reposer son regard sur moi. Il m'apprit alors la chanson qu'il m'avait chanté, en répétant très souvent et en m'accompagnant. Les paroles étaient rapides et le rythme, difficile à saisir la première fois. Néanmoins, en faisant preuve de beaucoup de volonté, je l'appris rapidement, ce qui étonna Alexander. Il me laissa ensuite l'interpréter seule, et, dès les premières notes, je vis ses yeux se teinter de surprise. M'arrêtant instantanément, je le questionnai du regard.

- Tu n'as vraiment jamais chanté ?

Je secouai la tête. J'ignorais ce qui m'empêchait de parler, le fait de chanter pour la première fois, peut-être.

- Tu te débrouilles très bien. Vraiment, très bien.
- Oh, je t'en prie, bredouillai-je. Ma voix n'a rien d'extraordinaire.
- Non, non, je suis très sérieux ! Pour quelqu'un qui n'a pas l'habitude, tu chantes bien et plutôt juste.

Il se tut un instant, les sourcils froncés.

- Et si... commença-t-il. Oui, ce doit être pour ça...
- Quoi donc ?
- Rien, vraiment rien, m'assura-t-il. Chante-la moi seule.

Sans insister, j'opinai du chef et m'exécutai. Je finissais à peine le deuxième couplet lorsque l'antillais rentra une fois de plus pour nous annoncer que nous avions jeté l'ancre et qu'il venait me chercher. Un sentiment de peur intense me tordit l'estomac et me noua la gorge : l'instant fatidique se rapprochait, inexorablement.

- Tout ira bien, murmura Alexander en serrant ma main, tout ira très bien.
- Je vais mourir.
- Non, Leanne, tout ira bien, ânonna-t-il, la voix vibrante de certitude.

Il m'adressa un ultime regard avant de lâcher ma main et de se voir contraint de retourner travailler sur le mât.