Je me doutais bien que les appeler dans le vide ne servirait à rien. Je m'assis sur un rocher plat proche du rivage. En plongeant mes jambes dans l'eau, elles laissèrent presque instantanément leur place à une queue de poisson étincelante. Éblouie par l'intense éclat de mes écailles au soleil, je plissai les yeux. Au bout d'un petit moment, je m'habituai enfin à cette lumière. J'entonnai doucement, du bout des lèvres, ma chanson afin d'attirer ces filles de l'eau.

- Yo ho, yo ho...
- Vive la piraterie, répondit une autre voix.

La créature blonde qui avait essayé de me tuer un peu plus tôt me toisait, sans aucune lueur malveillante dans ses yeux bleu azur, à demi sortie de l'eau.

- Je n'ai jamais voulu te tuer.
- Tu lis dans mes pensées ?
- Non, me dit-elle avec un charmant sourire, mais je me doutais que tu m'en voudrais.

J'attendis une explication à son geste, la raison qui l'avait poussée à renverser la chaloupe. Rien ne vint et je compris qu'elle ne ferait que répondre aux questions sans les approfondir.

- Pourquoi avoir fait cela ? demandai-je finalement. Tu as condamné un homme.
- Je voulais que tu comprennes qui tu étais vraiment et où était ta place.
- J'ai déjà reçu de l'eau dans le visage, sur mes mains ou mes bras mais je ne me suis jamais transformée.
- Ce sont tes jambes qui doivent être mouillées. Comme à cet instant. (Elle jeta un coup d'œil à ma queue de sirène dont les écailles luisaient au soleil.) La légende disait vrai : tes écailles en pierre de lune sont magnifiques.

Un léger silence s'installa entre nous. La sirène exposa son visage au soleil et savoura la douce chaleur de l'après-midi. J'observai avec admiration le soleil s'immiscer dans ses cheveux blonds, y créant çà et là des mèches d'or.

- Comment t'appelles-tu ? la questionnai-je.
- Lyrina. (Et alors que je m'apprêtais à lui dire le mien, elle ajouta : ) Je sais déjà ton nom, Leanne. Je le connais depuis le jour de l'enterrement de notre bien-aimée Reine sur l'île.
- Pourrais-tu nous emmener sur cette île ?

Son regard s'assombrit brutalement.

- Tu ne le feras pas, soupirai-je en caressant mes écailles en pierre de lune.
- Si, répliqua-t-elle, mais j'aurais préféré ne pas guider des pirates.
- Merci.

Elle haussa les épaules.

- A propos de cet homme, ajouta-t-elle, il s'était déjà condamné lui-même en devenant pirate.

Elle se laissa glisser dans l'eau. J'aperçus sa silhouette onduler, formant des vaguelettes sur son passage. Elle plongea ensuite plus profondément si bien que je ne pus plus voir son corps aquatique évoluer gracieusement dans l'eau fraîche de la baie.


Spark avait refusé que nous passions la nuit à la Baie de la Mort, malgré les supplications de l'équipage épuisé et à bout de forces. Leur affrontement avec les pirates du Lost Soul les avait entièrement vidé de leur énergie. J'avais également tenté d'ajouter ma voix à celle de l'équipage, assurant que les sirènes ne les attaqueraient pas. Nous avions cependant été contraint de lever l'ancre à peine une heure après ma brève discussion avec Lyrina. Cette dernière avait alors commencé à nous guider, cap vers le sud-est, vers l'île des Navires Perdus. C'était la sirène elle-même qui m'avait appris le nom de l'île, peu avant le départ. Songeant au nombre de bateaux qui avaient sombré dans l'espoir de la trouver, je me dis qu'une île n'avait jamais aussi bien porté son nom. J'aurais tellement aimé lui parler un peu plus, connaître mon histoire et celle de mon peuple. Mon peuple... Je ne connaissais ma condition de sirène que depuis seulement quelques heures et je savais pourtant déjà que je n'appartenais plus vraiment au monde des humains. Comment aurais-je pu avec ma queue de poisson et mes écailles en pierre précieuse ? Étais-je vraiment la fille de ma mère, elle si normale... et si malade. Pas un jour, une heure, une seconde ne passait sans que je m'en veuille horriblement de l'avoir abandonnée contre mon gré. Était-elle encore en vie ?

Elle l'est, m'obligeai-je à penser. Elle l'est forcément.