L'île des Navires Perdus, nous y étions. Comme à la Baie de la Mort, l'île était essentiellement composée d'une épaisse forêt, moins effrayante toutefois que celle de la Baie. Une haute montagne, seul pic rocailleux, dépassait de cette forêt et dominait toute l'île. Le jour avait disparu dès l'instant que nous avions traversé ce couloir de lumière. L'eau azur des Caraïbes avait viré au noir à cause de la pénombre dans laquelle nous nous trouvions et seule la lumière lunaire éclairait le petit archipel composé de l'île principale et de trois ou quatre îlots minuscules où un équipage entier n'aurait pas tenu.
On toqua trois coups à la porte, de façon presque inaudible. Tandis que je m'avançais pour ouvrir la porte, Lugh me barra le passage d'un geste brusque.
- Qui est-ce ? demanda-t-il d'une voix étonnamment douce.
- Monkey.
Je tressaillis. L'équipage du Cœur des Caraïbes se promenait-il actuellement sur le pont, libre ?
- Personne à part moi n'est autorisé à entrer ici, déclara froidement le rouquin.
- Mais moi, je veux le voir ! protestai-je. Entre, Monkey.
Le pirate entra timidement dans la pièce sans toutefois y pénétrer vraiment.
- Sortez, ajoutai-je à l'adresse de Lugh. Notre conversation ne vous regarde en aucun cas.
Mon regard se voulait déterminé. Fulminant intérieurement, le rouquin quitta la cabine, poings serrés et mâchoires crispées.
- Tu commences à avoir de l'influence, dit Monkey en souriant une fois que la porte eut claqué.
- Sûrement un peu. As-tu été libéré ?
- Non, j'ai été escorté jusqu'ici. Le geôlier m'attend devant la porte.
Je lui proposai un siège et pris moi-même place sur la chaise du bureau. Promenant ses doigts sur l'accoudoir du fauteuil où il s'était installé, Monkey me considéra un instant en silence. Il ne souriait plus.
- De quoi voulais-tu me parler ? interrogeai-je doucement Monkey.
Il gesticula sur son siège, mal à l'aise, et arracha un petit fil qui dépassait de l'accoudoir. Son regard fuyait le mien.
- Je... ne t'ai pas tout dit, déclara-t-il, la lèvre inférieure tremblotante.
- Sur quoi ?
- Ton père...
Il tordit ses mains et ses yeux se rivèrent au plancher. Les pires situations défilèrent dans ma tête : était-il blessé grave ? abandonné sur une île déserte avec seulement un pistolet et une balle ? était-il... mort ? Les larmes me montèrent aux yeux.
- Que lui est-il arrivé ? articulai-je faiblement, les mâchoires serrées pour ne pas pleurer.
- Il a été renvoyé du Glorieux. Pour faute grave.
- Pour faute grave... soufflai-je.
Nous nous toisâmes sans un mot. Monkey avait été renvoyé pour faute grave. Était-ce une simple coïncidence ? Ou alors...
- Quel est ton vrai nom Monkey ?
- Je...
Je le fixai sévèrement. Je voulais tout savoir maintenant, et surtout la vérité. Le pirate inspira profondément avant de lâcher d'une traite :
- William Jones, d'Hispaniola.
Il se leva brusquement et regagna la porte. Sa main sur la poignée, il s'apprêtait à la tourner.
- Attends !
Mes joues étaient trempées de larmes : les siennes aussi. Je me jetai dans ses bras, pleurant et tremblant. Blottie contre lui, aussi fragile et vulnérable qu'une petite fille, je laissai libre cours à mes larmes, la tête contre son torse. Il posa sa main sur ma tête, caressant mes cheveux aussi légèrement qu'une plume.
- Tu m'as tellement manqué... murmura-t-il. Ma petite fille, ma Leanne...
- On a besoin de toi, maman a besoin de toi. Reviens-nous, je t'en supplie...
- Je te le promets, je reviendrai, m'assura-t-il.
Il m'écarta délicatement de lui tout en continuant à me tenir par les épaules. Un sourire étira ses lèvres, illuminant ainsi son visage rougi par les pleurs.
- Je dois y aller.
Je hochai la tête, une ultime larme coula sur ma joue. Il se retourna pour ouvrir la porte et partir : le garde venait de toquer comme un bourrin.
- Et Alexander ? demandai-je précipitamment. Comment va-t-il ?
- Le capitaine l'a placé dans une pièce, seul. Il craint la contamination. (Il posa ses doigts sur la poignée.) Je t'aime très fort, Leanne, reprit-il après un silence. Ne l'oublie jamais.
Il sortit rapidement de la cabine. J'entendis le garde râler avant de s'éloigner avec Monkey. Avec mon père.
- Je t'aime aussi, papa.
