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 Lune T2/Chapitre 5

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quelemondeestbeau
Poète
quelemondeestbeau

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Lune T2/Chapitre 5 Empty
MessageSujet: Lune T2/Chapitre 5   Lune T2/Chapitre 5 EmptyLun 4 Aoû - 11:24

V.
Aux origines


- Pourquoi ne m'as-tu jamais parlé d'elle ?

Le regard d'Alexander errait entre les voiles des bateaux et les passants qui se promenaient encore sur le port. Sur tout le chemin du retour, nous n'avions pas échangé un mot, laissant s'installer entre nous un silence lourd de reproches.

- Cette femme ne représente rien pour moi. Elle n'est et ne sera jamais ma fiancée.
- Si tu me l'avais dit sur le Cœur, je t'aurais cru. Tu n'as pas confiance en moi.
- Bien sûr que si ! s'écria-t-il en s'appuyant contre un mur.
- Prouve-le moi.

Il croisa ses bras et sembla chercher ses mots.

- C'était trois mois avant que le Lost Soul n'arrive à Hispaniola. Nous avions accosté à Tortuga après deux semaines sans avoir posé pied à terre. Je suis entré dans le Jolly Roger, un cabaret bien connu des pirates, pour ne pas rester seul à bord du navire et aussi pour découvrir l'ambiance de cet endroit. C'est là que je l'ai rencontrée.

Il soupira brièvement avant de poursuivre :

- Elle a passé la soirée à me faire des avances et à me demander de l'épouser. C'était le genre de fille perdue qui traînait dans les cabarets dans l'espoir d'être enfin mariée. Un peu après minuit, j'ai quitté le cabaret, seul, dans le but de retourner à bord du Lost Soul. Elle m'attendait à l'extérieur, avec un regard noir et effrayant qui aurait terrifié le guerrier le plus courageux. Elle m'a insulté et m'a dit que je ne valais guère mieux que les autres pirates. Ensuite, elle a ajouté qu'elle préférait me savoir célibataire qu'avec une autre. (Il prit ma main.) Cette femme est folle et m'en veut énormément sans raison valable mais je ne la laisserai pas te faire du mal.

Je serrai sa main dans la mienne en mordillant nerveusement ma lèvre inférieure. Il m'avait raconté ce secret, c'était à mon tour de me dévoiler. Je n'avais jamais parlé de l'écaille de lune restante à Alexander, cette femme s'en était chargée pour moi. Je soupirai.

- A propos de l'écaille, je suis désolée. J'aurais dû t'en parler plus tôt.
- Parle m'en maintenant.
- D'accord. (J'inspirai et expirai plusieurs fois sans oser le regarder.) Tu te souviens de l'écaille que je t'avais confiée ? L'écaille manquante ?

Alexander hocha la tête en ajoutant qu'il avait manqué de se faire tuer à cause de cette écaille. Sa remarque me toucha mais le sourire qu'il afficha me rassura.

- Lyrina me l'a donnée quand nous avons repris la mer en précisant que cette écaille préserverait notre amour.
- Ce qui signifie... ?
- Tant que j'aurai cette écaille, nous continuerons à nous aimer. Rien ne pourra nous atteindre.
- Tu as besoin d'une écaille pour ça ? lâcha-t-il du bout des lèvres.

Je le considérai avec surprise tout en sachant qu'il avait entièrement raison. Néanmoins, il ne m'avait pas habituée à ce genre de réponse brusque et froide.
Je tournai mon regard vers l'horizon. Le Cœur des Caraïbes se tenait devant nous, majestueux et impérial par rapport aux embarcations qui l'entouraient. Certains pirates, grisés par l'alcool, tentaient péniblement de regagner le vaisseau, entonnant au passage quelques chansons paillardes.

- Tu as raison, soufflai-je. Je la jetterai à la mer dès que nous repartirons.
- Parfait. Venant de toi, cette histoire d'écaille est plutôt décevante.

Je me tournai vivement vers lui. Ce ton froid ne lui ressemblait pas.

- Qu'est-ce que tu viens de dire ? demandai-je après avoir lâché sa main.
- Tu m'as très bien compris.
- Tu ne penses pas vraiment ce que tu as dit...

Alexander soupira bruyamment.

- Leanne, je croyais que tu avais confiance en notre amour.
- Mais je...
- Non ! me coupa-t-il. Non, tu n'as pas confiance ! Tu as besoin d'une écaille pour te rassurer !
- Alex, comment peux-tu...

Je ne finis pas ma phrase, incapable de parler plus : ma gorge nouée m'en empêcha. Il planta son regard dur dans le mien. Au moment même où nos yeux se rencontrèrent, je perçus cependant un brusque changement d'expression sur son visage. En une seconde, il passa de la froideur au remord.

- Leanne, je suis désolé ! Les mots sont sortis malgré moi, je ne pensais pas ce que j'ai dit !
- Non... Non, c'est vrai, reconnus-je. C'est stupide de garder cette écaille.

Il me prit tendrement dans ses bras.

- On est quittes, d'accord ? proposa-t-il. Je ne veux pas qu'on se dispute, ça nous détruirait. Ça me détruirait.

Sourde et aveugle au monde alentour, je profitai pleinement de cette étreinte. Lorsque nous nous dirigeâmes vers le Cœur, je laissai Alexander passer devant et sortis l'écaille de ma poche pour la jeter à l'eau. Quand je posai mon regard dessus, je poussai un cri de surprise : des nervures aussi noires que de l'encre en parcouraient la surface.

Il faisait nuit noire quand je regagnai le pont du Cœur. Je n'avais pas sommeil, la noirceur de mon écaille m'avait coupé toute envie de dormir. De plus, le premier indice n'avait toujours pas dévoilé ses mystères, notre prochaine destination nous était ainsi encore inconnue. Quelques pirates essayaient de camoufler leur ébriété en s'adossant au bastingage pour ne pas tomber. Du coin de l’œil, j'aperçus Dirk près du gouvernail, le perroquet à l'épaule et les yeux sur l'horizon. Je choisis de ne pas le déranger et allai m'installer dans un coin pour pouvoir réfléchir.
Une fois installée, je repris mon raisonnement où je l'avais laissé. La seule chose qui me reliait à Spark était notre voyage au temple de la Lune. Je repensai ensuite à l'indication de Victor – Remonte aux origines – et tentai comprendre le lien final entre ce voyage et les origines. A quelles origines fallait-il remonter ? Peut-être étaient-ce les origines du temple...
Là où tout a commencé...

- Mais bien sûr, fis-je à voix haute. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?

Je me relevai prestement et accourus auprès de Dirk, plongé dans ses pensées. Il se rendit rapidement compte de ma présence sans que je prononce le moindre mot. Blake, quant à lui, quitta l'épaule du pirate pour rejoindre la mienne.

- Leanne ? Un problème ? m'interrogea-t-il, étonné.
- Je connais notre destination.

J'observai un léger silence.

- Et... ? Où devons-nous aller ?
- Là où tout a commencé, aux origines de la légende de la Sirène aux Ecailles de Lune : Cuba.
- Cuba ? Je dois t'avouer que j'ai du mal à te suivre... confessa Dirk avec embarrassement.
- Cette légende a été créée après la construction du temple de la Lune, lui-même créé après la mort de la Reine de la Lune...
- Qui vivait à Cuba, compléta-t-il avec un franc sourire.

Je hochai la tête avec un sourire. La résolution de cette énigme avait réveillé quelque chose dans le regard de Dirk, comme une petite flamme. Il semblait s'être réveillé d'un coup.

- Tout ce que nous avons vécu l'année dernière, repris-je, n'aurait pas existé s'il n'y avait pas cette reine.
- Demain, nous mettrons le cap sur Cuba !

Sur le pont, un pirate répondit favorablement au cri de Dirk avant de chanter un nouveau couplet, une bouteille de rhum à la main. Dirk, lui, se tut et me regarda avec douceur.

- Merci Leanne. Tu n'imagines pas à quel point ton aide nous est précieuse.

Il sourit une nouvelle fois, avant de me souhaiter bonne nuit et de quitter le pont. Je le regardai partir, la main dans les plumes de Blake, et cherchai des yeux l'horloge du port. L'heure avancée qu'elle indiquait me fit bailler.

- On devrait aller dormir, dis-je à Blake.

L'oiseau me répondit avec le seul mot qu'il connaissait – « Blake » – et plongea la tête dans mon cou. Je ris et me dirigeai vers la porte de ma cabine, soudain très fatiguée. Victor y était négligemment appuyé, bras croisés, et toujours ce sourire énigmatique.

- Je savais que tu trouverais, déclara-t-il sans quitter sa position. Tu es aussi futée que ton pirate de père.
- J'aimerais aller dormir.
- Et moi, j'aimerais discuter un peu. Ne trouves-tu pas l'air marin très agréable ?

Je tentai d'atteindre la poignée de la porte, sans succès. Victor faisait barrage et affichait un sourire rendu effrayant par la pénombre.

- Laissez-moi passer.
- Personnellement, je préfère l'air marin au petit jour. Le matin, la mer paraît si vieille et si jeune à la fois.

Je tendis ma main vers la porte : le mystérieux pirate la repoussa sans violence apparente. Sur mon épaule, je pouvais sentir qu'une sorte d'agitation croissante s'emparait de Blake, qui changeait régulièrement de patte d'appui.
Victor se tenait fermement devant moi et semblait bien décidé à discuter de l'air marin et de la mer au petit jour. J'étais sur le point de renoncer et de tourner les talons lorsque Blake quitta brusquement mon épaule pour se jeter sur Victor, qui s'écarta de la porte pour se défendre. Je restai immobile quelques secondes, regardai Victor protéger ses yeux du bec de l'oiseau, puis me ruai à l'intérieur de la cabine. Mes mains tremblaient tellement que j'eus du mal à fermer la porte à double tour. Je la contemplai ensuite, choquée et essoufflée, comme si j'avais couru pendant une heure.
Je pouvais entendre Victor insulter Blake avant de hurler mon nom. Finalement, la voix d'Alexander retentit et ordonna au pirate de partir. Naturellement, Victor refusa de s'en aller et une violente dispute éclata. Incapable de faire quoi que ce soit, j'écoutais, impuissante, les deux pirates se battre. Alexander poussa un cri de douleur, bientôt suivi par un cri de rage.
Ils se battirent encore quelques minutes avant que Dirk n'intervienne, aidé d'un pirate dont je ne reconnus par la voix. Dirk sépara les deux flibustiers et fit d'office enfermer Victor, sans même demander d'explications à quiconque. Il toqua ensuite à ma porte et me rassura comme il pouvait. Je déverrouillai et retins un gémissement en voyant Alexander. Des bleus lui couvraient le visage et son nez saignait abondamment. Il m'adressa un faible sourire.

- Emmène-le avec toi, ordonna Dirk. Je vais m'occuper de notre prisonnier.

Il quitta ensuite le seuil de la cabine pour rejoindre les geôles où avait été enfermé Victor. Je me précipitai pour soutenir Alexander, sérieusement amoché. Il s'appuya sur moi et lâcha un léger cri de douleur en posant son pied gauche à terre. Je le fis entrer dans la cabine et l'assis dans un fauteuil près de la porte. Je saisis un mouchoir sur le bureau et lui tendis.

- Merci, fis-je quand il essuya le sang sur son visage.
- Blake n'y serait pas arrivé tout seul.

Je ris en repensant à la manière dont le perroquet s'était jeté sur Victor. Sa manière de me défendre m'avait fait prendre conscience qu'il y avait résolument quelque chose d'humain chez cet oiseau.

- Pourquoi était-il devant ta porte ?
- Il voulait me parler mais la discussion n'avait rien d'engageant.
- Il avait très envie de te parler apparemment. Tu ne lui aurais pas envoyé de signes qui...
- Qui quoi ? m'écriai-je. Qu'est-ce que tu sous-entends ?

Il reposa lentement le mouchoir ensanglanté sur un des bras du fauteuil.

- Je trouve étrange qu'un homme tienne autant à te parler. Surtout qu'il a du charme...
- Il a au moins vingt ans de plus que moi ! Il pourrait être mon père !

Comme pendant notre première grosse dispute, Alexander affichait un regard froid et accusateur. Mâchoires serrées, encore sous le choc, je montrai la porte du doigt sans le regarder.

- Sors, fis-je d'une voix faible. Maintenant.

Je sentis son regard quelques secondes de plus. Il quitta ensuite la cabine sans un mot, en ne laissant derrière lui que ce mouchoir tâché de sang. Je contemplai le fauteuil où il était assis un instant plus tôt et fondai en larmes malgré moi. J'aimais Alexander et la simple idée de le perdre me faisait terriblement mal. Il me fallut de nombreuses larmes avant de comprendre la source du problème.
Je sortis l'écaille de ma poche et la pris entre mon pouce et mon index. Le bout avait complètement noirci et d'importantes marques noires striaient l'écaille. Cette sorcière avait empoisonné notre amour en s'attaquant à cette écaille.
Je soupirai. Si Lyrina était là, elle me dirait quoi faire.
Lyrina n'est pas là, c'est à toi de trouver quoi faire.
Blake, qui était rentré dans la cabine en même temps qu'Alexander, piailla et répéta son nom pour exprimer son mécontentement. Lui comme moi étions épuisés. Je retirai mes bottes et me glissai dans mes draps en souhaitant bonne nuit à l'oiseau. Finalement, je soufflai la bougie, plongeant la cabine dans le noir.

Il était presque huit heures lorsque je décidai de quitter ma cabine. Contrairement à Blake, j'avais très mal dormi, repensant sans cesse aux évènements d'hier. En un jour, Alexander et moi nous étions disputés deux fois.
Cependant, une fois sur le pont, le vent dans les cheveux et l'air iodé dans mes narines, j'oubliai instantanément ce qui me tracassait. Le Cœur des Caraïbes avait levé l'ancre peu de temps avant mon réveil, je pouvais voir se dessiner Port-Royal. Dirk ne s'occupait pas du gouvernail ce matin. Ayant veillé tard, il était sans doute parti se reposer. Je détaillai le pont du regard et observai les nouveaux venus qui avaient rejoint l'équipage. Certains nettoyaient le pont tandis que d'autres s'occupaient des voiles et des cordages. Leur teint gris et leurs profondes cernes trahissaient leur ébriété de la veille. Un homme torse nu passa près de moi, un seau à la main, et me salua. Je le saluai à mon tour et allai à la rencontre du flibustier au gouvernail. Il était déjà pirate sur le Cœur durant le voyage jusqu'au temple. Lui aussi me reconnut. Son visage se fendit d'un sourire.

- Que me vaut l'honneur de ta visite ? demanda-t-il en scrutant l'horizon.
- Je me suis rendue compte l'année dernière que je n'avais pas cherché à connaître l'équipage du Cœur. Vous me faisiez peur, avouai-je.
- J'avais peur, moi aussi, quand j'ai été engagé par Spark. Aujourd'hui, je ne quitterais ce rafiot pour rien au monde.

Il caressa du pouce le bois clair du gouvernail. Il ne devait pas avoir plus de trente ans. Aucune mèche blanche ne se cachait entre ses épis châtain clair et ses yeux pétillaient. Ses mains fines semblaient néanmoins assez puissantes pour transporter n'importe quelle charge.

- Je m'appelle Jonathan, reprit-il. Ravi de faire ta connaissance, Leanne.
- Le plaisir est partagé.
- Il paraît que tu aimes lire.
- Il paraît, oui, fis-je avec malice.

Sans quitter le gouvernail, il désigna une sacoche non loin de lui. Je l'interrogeai du regard mais lui se contenta de sourire. D'un pas prudent, je m'avançai vers la sacoche et l'ouvris précautionneusement. J'y plongeai la main et en sortis un livre magnifiquement relié.
Même M. Allan n'a pas d'aussi beaux livres.

- Nous avons attaqué un navire marchand peu avant la disparition de Spark. L'équipage s'est rué sur les marchandises et a dérobé la quasi-totalité de la cargaison. Spark a préféré aller dans la cabine du capitaine et a pris plusieurs livres. Nous n'avons pas compris ce choix, ça ne lui ressemblait pas.
- Il est vrai que Spark est plutôt attiré par ce qui brille d'ordinaire.
- Quand je t'ai revue à Hispaniola, j'ai compris qu'il avait pensé à toi en voyant tous ces livres. Il t'apprécie beaucoup. Tu l'as aidé à changer, à être plus...

Il hésita.

- Plus lui ? proposai-je.

Jonathan hocha la tête et n'ajouta rien. Après un temps de réflexion, je descendis les escaliers étroits qui menaient au gouvernail en tâchant de ne pas tomber. Une fois sur le pont, j'ouvris le livre pour en découvrir le titre. Je découvris effectivement le titre, mais également une note, rédigée par Spark :

- Les moins riches matériellement ne sont pas les moins riches humainement, lus-je.

Il m'était facile de comprendre que Spark s'adressait directement à moi par le biais de cette phrase. Je m'assis à même le sol, sous les escaliers que je venais d'emprunter et entamai la lecture du Paradis perdu de John Milton, à l'abri de l'eau et du vent.
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Damona Morrigan
Fondatrice d'Alchemypoètes
Damona Morrigan

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Date d'inscription : 06/11/2010
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MessageSujet: Re: Lune T2/Chapitre 5   Lune T2/Chapitre 5 EmptyLun 4 Aoû - 20:52

Je prends toujours autant de plaisir à te lire ma petite Bo. Vivement la suite !
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Lune T2/Chapitre 5

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