Le temps se partage en deux, quand Kavikawanka est présent et quand il ne l’est pas. Il passe parfois des jours sans quitter le marais. Là, les femmes ressentent un certain bonheur, elles sont défaites de leurs liens et vaquent à des occupations qui leur font oublier l’adversité de leur existence. Derrière l’arbre, à une centaine de pas, se trouve un petit étang, une mare presque, à l’eau étonnamment claire et chaude, sans cesse renouvelée par une source qui jaillit d’une fissure de son fond. Sa présence surprend au milieu de ce paysage putride. Elles y vont dès qu’elles en ont l’occasion, s’y baignent et jouent en faisant résonner les rires de l’oubli, aussi longtemps qu’elles le peuvent. Des liens se tissent. Elles deviennent amies et sœurs. Au loin, près de son feu, Kavikawanka est assis sur son derrière et semble méditer. Et si elles profitaient de cet instant d’inattention pour s’enfuir, propose Mahina une fois. Mais Mahané et Mahakana, ses compagnes, refusent et lui expliquent qu’il est vain d’espérer échapper à Kavikawanka. Sa devancière a essayé. Sa peau se balance à présent, tendue sur son armature, là-haut, presque au sommet de l’arbre. Mahina tremble à cette évocation et sa bouche s’emplit de questions. Jusqu’alors, ses nouvelles sœurs ont ménagé la candeur de son jeune âge, mais il est temps de révéler comment se déroulent les choses dans cet endroit et quel sort terrible attend chacune d’elles.
Depuis toujours, Kavikawanka vole des femmes de façon à ce que, en permanence, trois soient à disposition pour le servir comme esclave et en même temps femelle à d’autres heures. Parfois, la nuit, lorsque le désir prend possession de lui, il vient à l’arbre et délie celle qui lui fait envie à cet instant, puis il l’emmène dans sa case où il la viole. Mahina avoue qu’elle n’a jamais connu l’homme, les deux le savent déjà, elle n’est encore qu’une fille dont le premier sang n’a pas dû couler depuis bien longtemps, c’est pourquoi elles craignent pour elle de dures heures à vivre. Elles promettent de la protéger comme elles le pourront. Pourtant, elles la mettent en garde. Surtout, lorsque l’instant sera arrivé, car il est inéluctable qu’il se produise, que le maître vienne à s’intéresser à sa féminité, ne pas tomber en mal d’enfant ! Ici, la mort n’est jamais loin dès que la vie entre en soi. Plus que tout, Kavikawanka aime le goût du petit qui habite encore la matrice. Longtemps, il observe avec envie le corps de la bientôt mère gonfler des seins et du ventre. Uniquement dans ces moments, il semble avoir conscience de l’existence de ses captives. Et puis, quand le ventre s'avère bien gros, il sacrifie la presque parturiente en lui perçant la gorge sous les yeux des autres femmes qui ne peuvent rien faire pour s’y opposer, que pleurer, se lamenter et hurler leur impuissance. Lui s’en moque et continue son œuvre. Il couche le cadavre de sa pauvre victime sur le dos à même la terre blanche et, à l’aide d’une pierre taillée, il coupe la peau et il tranche les chairs du ventre rond avant d'aspirer l’eau qu’il renferme en se penchant sur lui et à grand renfort de bruits de succion, puis il plonge sa main à l’intérieur,
en extirpe le fœtus encore gigotant parfois et le dévore en fermant les yeux de délectation. Quand il a fini, il ne reste rien. Pas un os ! À ce moment, il éructe bruyamment et entreprend de manger la poitrine gonflée de lait. Il se gave du corps de l’infortunée jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, que son estomac soit dilaté et près d'exploser, alors, il s'étend à même le sol contre la morte dépouillée et dort en ronflant comme un fauve jusqu'au lendemain.
