Il régnait une grande fébrilité dans le clocher . C’était comme cela tous les ans, à l’approche de Pâques. Le bedaud, qui était pourtant passé maître dans l’art du domptage des cloches, y perdait son latin. La plus vieille, Bourdon, avait pourtant l’habitude de ces migrations annuelles, mais même elle ne tenait plus en place.
On les astiquait, elles devaient être les plus belles, après tout elles représentaient la paroisse ! La petite Nole ne comprenait pas toute cette effervescence. Il faut dire qu’elle venait d’arriver et n’avait aucune idée de ce qui allait se passer.
On lui avait bien dit, à la nurserie des cloches où elle était née, que tous les ans, quelques jours avant Pâques, toutes les confréries partaient à Rome voir le Saint Père pour y recevoir sa bénédiction. Au retour, la coutume voulait que toutes les cloches rentrent chargées d’œufs en chocolat, qu’elles distribuaient sur leur passage.
Ce qui tracassait le plus notre petite cloche, c’était de voler. A tous les coups le gros bourdon allait s’écraser sur le parvis. Ses sœurs se moquèrent d’elle et l’entraînèrent dans le magasin des accessoires. Là, étaient entreposées des ailes de toutes les tailles. Elle trouva très vite les siennes, toute petites, toutes neuves et à sa taille. Quand chaque cloche eut revêtu les siennes, le cortège s’ébranla. Le bourdon était en tête, droit d’ainesse oblige ! Pour une fois, il faisait beau et la petite Nole faisait des cabrioles avec ses nouvelles ailes, elle trouvait cela fort plaisant.
La grande cloche de Big Ben et la congrégation de la cloche miraculeuse de Locronan, les attendaient à un carrefour de nuages. Tout l’escadron de cloches qui grossissait à vue d’œil prit donc la direction du Vatican. Nole jouait à cache cache avec les nuages. Bientôt l’escadron n’était plus qu’un petit point à l’horizon. Elle décida de descendre afin de voir ce qui se passait en bas. Les occasions étaient rares, elle ne bougeait jamais de son clocher.
Bien en dessous des nuages, elle vit une vallée verdoyante et, assis sur un rocher, un petit garçon qui pleurait en gardant ses moutons. Toute émue, elle atterrit près de lui et le questionna sur les raisons de son chagrin. Il lui expliqua que Pâques approchait et lui montra la vieille chapelle envahie de ronces qui se trouvait juste à côté. Il y a bien longtemps qu’il n’y avait plus de cloche dans le campanile. Il voyait tous les ans les escadrons de cloches qui partaient à Rome, mais jamais aucune ne s’arrêtait pour lui lancer des œufs en chocolat à son retour, et cela le rendait bien malheureux. Attendrie, Nole lui promit qu’elle ne l’oublierait pas sur le chemin du retour, mais maintenant il était grand temps qu’elle rejoigne ses sœurs pour accomplir sa mission annuelle.
Sa légèreté et la jeunesse de ses ailes, lui permirent de reprendre bien vite de l’altitude. Son regard fut attiré par deux oiseaux volant bien au-dessus des nuages, l’un tout blanc et l’autre tout noir. Elle sourit, elle avait reconnu Raven et Snowbird et se souvint avec émotion de leur belle histoire d’amour. Maintenant, il n’y avait plus de temps à perdre. En quelques battements d’ailes, elle rejoignit sa confrérie. Le vieux bourdon la sermonna un peu mais lui pardonna ses facéties. Après tout elle était si jeune et c’était son premier voyage.
Le long cortège arriva au but de son voyage. Toutes les cloches se retrouvèrent attablées pour partager un grand festin offert par Sa Sainteté. Les bavardages allaient bon train et ce n’était que son de cloches, des plus graves aux plus aigus. A présent qu’elles étaient toutes repues, La maitresse de cérémonie, l’imposante Big Ben ordonna le silence. Le Saint Père en personne venait de faire son entrée dans la grande salle, pour sa bénédiction annuelle. La petite Nole était très impressionnée, pour elle c’était une grande première. A la fin de la cérémonie, une armée de gardes suisses les dirigeât vers la sainte chocolaterie où chacune fut chargée de son pesant d’œufs, destinés aux enfants du monde entier.
Déjà, l’impressionnant cortège s’ébranla dans le ciel. La petite Nole se trouva bien vite et bien volontairement en queue de peloton : elle avait une promesse à tenir !
Au grand carrefour des nuages, chaque groupe reprit son chemin vers le clocher familier…sauf Nole.
Elle reconnut bien vite la verte vallée et le petit garçon qui scrutait le ciel. Nole atterrit à ses côtés et lui donna ses œufs en chocolat. Un grand sourire illumina les yeux du garçonnet. Il était satisfait mais, une ombre troubla son beau visage. Son regard allait de Nole à la pauvre chapelle sans cloche. Notre petite cloche comprit le message et vite s’envola et prit place dans le clocher. Tout au loin, dans toutes les villes et les villages du monde, les cloches tintinnabulaient gaiement : c’était le dimanche de Pâques. Nole, de sa petite voix fluette anima la vieille chapelle, lui redonnant vie. Depuis ce jour, la petite église abandonnée a repris du service et, tous les habitants des alentours viennent s’y retrouver. Il s’y sont tous mis. Elle est plus belle que jamais, débarrassée de ses herbes folles et repeinte à neuf. Des bouquets parfumés de fleurs sauvages viennent égayer le vieil autel de pierre. Bien sûr, Nole a abandonné ses sœurs de la grande église, mais elles sont bien assez nombreuses. Elle les retrouvera l’année prochaine et leur expliquera les raisons de son choix. Elle est bien petite mais son faible carillon a redonné le sourire à un petit pâtre. Grâce à elle, c’est toute une population qui a retrouvé le chemin de la petite chapelle, où elle se retrouve le dimanche entre amis, pour des moments de partage. –