Oh putain, il m’avait vu tuer le DJ Ridoo et mon « meilleur ami », qui avait bien pu me doubler ? Cet homme me faisait peur, j’attendais la suite avec impatiente.
- Je vous ai pris en photo sous toutes les coutures pendant que vous commettiez ces meurtres…
- Et ?
En réalité, je flippais énormément, il ne fallait pas que je laisse percevoir ma peur.
- Bah, si vous n’alignez pas les billets dans dix minutes, je livre ces clichés à la presse espagnole et vous allez à la case prison sans passer par la case départ.
- D’accord, votre prix sera le mien.
- Trois cent mille euros pour chaque photo plus sa pellicule, j’en ai dix.
- Trois millions ? Vous êtes malade ?
- C’est vous qui voyez.
Je devais tenter un coup de théâtre, une seule phrase pouvait marcher et je devais la tenter !
- C’est qui le Boss ici ? C’est moi le Boss !
Il éclata de rire… Ce n’était pas l’effet attendu.
- T’as cru que ça allait marcher avec moi ? Je ne suis pas comme les autres pédales de nettoyeurs, « c’est moi le Boss, c’est moi le Boss », moi aussi je peux le dire… Donc t’arrêtes de jouer au guignol et t’amènes le fric, compris ?
C’est ce qu’on appelle une réponse claire, nette et précise, je n’essayai pas de riposter.
- D’accord, d’accord, je vais payer…
- Sage décision, inutile de préciser que je veux l’argent en petites coupures…
- Eh ! On n’est pas au Mac Do !
- Si tu le prends comme ça, je n’y vois aucun inconvénient…
- C’est bon !
Je lui demandai de sortir un moment et je posai le cube sur son socle… J’y pris une mallette contenant la somme en billet de cinq cent, j’avais ajouté un million de plus, je n’étais plus à ça prêt… Quand il revint dans la pièce, il recompta, me remercia pour « le petit plus » me serra la main et sortit. Quatre millions en moins dans les caisses, ça allait se sentir… D’autant plus que le retour de l’Arlequin était dans à peine cinq jours. Je devais sauver Ramon et Océane avant, c’était mission impossible ! Mais je devais réussir. Plus le temps passait, plus que je me rendais compte que tout allait trop vite ici ! Tous les jours il m’arrivait une connerie… Ce soir, je restais à la boîte. Ce qui me consolait un peu c’était de savoir qu’Océane était toujours en vie, même si elle n’était plus à mes côtés, c’était le principal : elle allait bien. Je rencontrai de nouvelles personnes ce soir-là, un gars avec un chapeau et des lunettes de soleil. (On était en intérieur, en pleine nuit, ça fait bizarre, enfin moi je dis ça, je ne dis rien…). Bon et puis évidemment, celui-ci était accompagné de deux sublimes filles, dont une avait un faible pour moi. Elles étaient magnifiques mais à eux deux, elles n’arrivaient pas à la cheville de… Oh, et puis si en fait, elles dépassaient Océane. Euh, attendez, comment je parle là ? L’alcool doit me monter au cerveau pour que je dise des conneries pareilles, cette histoire allait mal finir, je le savais déjà. Sur le moment je m’étais dit intérieurement : « Océane, si tu m’entends, je ne suis pas responsable des actes que je vais réaliser dans les prochaines heures, je t’aime ! ». Voila, ça, c’est fait, maintenant place à la fête, mojitos sur mojitos, je discutais avec James et ses copines, d’ailleurs, je sympathisai avec Maria, euh Aurélie, non, Marion, oh et puis bref, on s’en fout de son prénom. Avec un gramme cinq d’alcool dans le sang, nous dansâmes sur la piste en tanguant. Vers minuit, un de mes gardes du corps prit les platines en main, en effet, James m’avait invité à finir la soirée chez lui. Nous entrâmes dans MA limousine en marchant en crabe, après avoir passé la porte, plus rien, le trou noir… Le lendemain, on m’avait administré un réveil à la Very Bad Trip, j’étais dans un lit à baldaquin, les rideaux rouges étaient tirés et des draps de soie me recouvraient. Ah mon Dieu ! Je venais de me rendre compte que j’avais deux filles à mes côtés, pour ne pas être vulgaire, on va dire qu’elles étaient en tenue d’Ève. Elles avaient les cheveux en bataille et ne s’étaient pas démaquillées. A première vue, j’avais croqué dans le fruit défendu, comment allait réagir Océane ? Je n’osais même pas imaginer… Et là, je crus à une blague de très mauvais goût, je me rendis compte qu’une des filles qui se trouvait dans le lit était en fait un homme. J’émergeais peu à peu, le flou qui obstruait ma vue s’estompait. J’avais eu à peine cinq secondes de repos, car voila que la légendaire « brique dans le crâne », voir ici le parpaing, était arrivée à bon port et n’était pas prêt de partir. J’entrouvris les rideaux pour me retirer de ce lit si… spécial. Je n’étais pas au bout de mes surprises. « Où est-ce que j’étais ? », c’était la première question qui m’était venue à l’esprit. Le sol était recouvert par une moquette, et par endroits, on pouvait apercevoir des traces de… Non, je ne vais pas préciser ce que j'ai vu dans cette pièce, vous êtes peut-être à table. Je titubai pour avancer, soudain, je me cognai le genou contre le bord du lit. Inutile de préciser que je prononçai sur le moment un nombre incalculable d’onomatopées… Ça n’avait même pas réveillé les deux protagonistes qui se trouvaient dans le lit. Il y avait aussi dans la pièce une paire de talons d’une vingtaine de centimètres… Je décidais de sortir de cette… pièce. J’étais maintenant dans un long couloir, aucune des portes, toutes identiques, n’avait d’intitulés. Donc avant de trouver la salle de bain, j’allais sûrement tomber sur des choses plus que spéciales… Bingo ! Sur quinze portes essayées, pas de salles de bain mais des chambres à thème douteuses : mille et une nuits, milieu marin… Et à chaque fois, les personnes qui se trouvaient à l’intérieur, hommes ou femmes d’ailleurs, c’est ça qui m’avait fait peur, m’invitaient à entrer. Je n’ai évidemment pas accepté une seule fois. Ouf, au bout de la vingt-troisième porte, les essais furent concluants… Le paradis s’ouvrait à moi, premier réflexe, je fermai la porte blanche à clé. J’étais enfin seul avec moi-même dans une salle de bain luxueuse. Pour vous donner un ordre d’idée, c’était deux fois plus grand que mon bureau. Il y avait trois jacuzzis, huit douches, dix lavabos, bref une salle de bain collective. Je cherchai maintenant une glace, une fois devant, je pus contempler l’épave que l’alcool avait fait de moi, c’est dans ces moments-là qu’on peut dire « l’état du mec », d’habitude, j’étais plutôt beau gosse, sans être modeste, mais là… J’avais les cheveux ébouriffés, ma chemise déchirée, le pantalon dégueulasse et j’en passe. D’accord, j’étais dans un sale état, d’accord, j’avais peut-être passé la nuit avec un mec, mais ce n’était pas ma faute : je ne savais toujours pas où j’étais ! Après m’être (un peu) relooké, je sortis de la salle de bain sans bruit, puis je repartis de l’autre côté du couloir pour voir ce qui s’y trouvait. J’ouvris une nouvelle porte : c’était la cuisine. Celle-ci était circulaire et entourée par une immense baie vitrée donnant une vue imprenable sur la Méditerranée, une chose est sûre : je n’avais pas quitté l’île. J’étais soulagé, il y avait un bar dans la pièce, je me fis un petit cocktail, dès le matin ça réveille. Je le sirotais en admirant la vue quand une voix familière dit :
- Bien dormi ?
C’était James, il avait enlevé son chapeau, je n’eus même pas le temps de répondre qu’il m’en avait déjà posé une seconde.
- Je ne savais pas que les hommes c’était ton trip, c’était bien au moins ?
- Je ne savais pas non plus, je te rassure, qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai bu ?
- À ce stade-là le mot « boire » n’est plus adapté, une vraie caisse de champagne sur patte… Je pense que tu as cependant passé une bonne nuit, tu as fait le bon choix en choisissant Xantia.
Xantia ? Ce monde était tellement à part que les gens donnaient des noms de bagnoles aux filles, après tout, peut être qu’ils ne connaissent pas la marque ici, j’espère pour eux en tout cas.
- Je ne me souviens de rien…
- Il vaut mieux et puis, je peux te raconter une chose, pour le reste, je ne préfère pas te raconter, tu ferais des cauchemars…
La parole de trop, en effet, vu le ton sur lequel il m’avait dit ça, je ne préférais pas chercher à comprendre.
- Ce que t’as fait m’a bien fait marrer d’ailleurs… On a fait un concours : on devait tenir le plus longtemps en marchant sur les mains, on était bourré bien sûr…
- Résultat ?
- Bah, t’es allez dans le couloir, toujours en marchant sur les mains, et tu as réussi à décrocher des cadres avec tes pieds.
On éclata de rire, mais bon après tout, moi, je ne m’en rappelais pas…
- Au fait, on est combien là ?
- Alors, vers une heure on était vingt, à deux heures et quart, trente, et à six heures on a fini à quarante… Qu’est-ce qu’il y a, ça n’a pas l’air d’aller ?
- Ce n’est pas ça mais…
- Raconte-moi, tu peux me faire confiance, ne t’inquiète pas…
- Bah, il y a quelque chose qui me travaille, ma copine a été prise en otage.
- Ah bon ? C’est horrible ! Mais par qui ?
- Mademoiselle Enigma, tu connais ?
- Un peu que je la connais, c’est ma tante !
Oh la boulette, c’est dans des situations comme ça que l’expression « Toujours tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler » prend tout son sens. Je les enchaînai les conneries quand même ! Je tentai tout de même de ne pas montrer mon anxiété…
- C’est vrai ? Motus et bouche cousue, n’en parle à personne ! Bon, je vais te laisser, j’ai du travail, même si je ne me rappelle de rien, ça a dû être une sacrée soirée, encore merci !
Règle n°1 : Ne jamais faire confiance à personne, surtout pas aux personnes que l’on rencontre lors de fêtes ! En effet, une heure après que je sois parti, les avocats d’Enigma m’appelaient :
- Dis donc Gaspard, t’as mis le neveu de Madame Enigma au courant de nos petites affaires ? Pas bien ça… Clément, coupe-lui un doigt !
- Mais vous êtes complètement barge !
- Trop tard, c’est fait, on a juste coupé le petit doigt, elle ne pourra plus se gratter l’oreille, comme c’est dramatique… Et puis faudrait peut-être que tu retrouves le dossier un de ces quatre, non ?
Il avait raccroché juste après… Que d’émotions ! Dans quel état allais-je la retrouver ? J’avais peur, et puis, comme si ça ne suffisait pas, l’Arlequin allait bientôt revenir de ses vacances… Je ne pouvais pas récupérer le dossier, sauver Océane et Ramon et disparaître ensuite, j’en vins à une triste conclusion : j’allais devoir affronter l’Arlequin en personne. Je devais encore organiser une fête ce soir… Qu’allait-il m’arriver encore ? C’était rythmé une fois de plus, je vous assure, voila comment ça s’est déroulé…
J’avais fait le même discours que les autres soirs, il y avait plein de monde, le champagne coulait à flot, mes potes DJ passaient de la bonne musique, c’était comme tous les soirs en fait. Mais ce soir, j’avais envie d’être mis à l’honneur, je me mis au milieu de la piste et je criai :
- C’est qui le Boss ici ?
Avant que je puisse répondre à ma boutade favorite, j’entendis les portes de la boîte s’ouvrir, j’étais de dos à ce moment-là, heureusement d’ailleurs… Qui était cet homme pour que mes gorilles aient pu le faire rentrer ? L’inconnu dit d’une voix rauque :
- C’est moi, le Boss !
Là, j’eus la peur de ma vie, l’imposture prenait fin ici même, l’Arlequin, le seul, l’unique, était rentrée prématurément de ses vacances, je pouvais être sûr que dans deux jours, j’étais entre quatre planches… La foule ne disait rien, ça se déroulait entre lui et moi désormais…
- Ça t’amuse de prendre la place des autres ?
Pétrifié, je ne pouvais répondre
- Eh bien ! Réponds ! C’est à toi que je parle petit con ! Tu t’es éclaté à jouer à l’Arlequin ? Désolé tout le monde, je ferme, promis, demain, je vous offre une fête grandiose, mais pour le moment, j’ai quelques affaires à régler avec cet homme très audacieux…
Tout le monde sortit sans faire d’histoire, les armoires à glaces qui étaient autrefois mes laquais m’agrippèrent et m’immobilisèrent au sol.
- Tu as eu beaucoup de chances que la presse people ne parvienne pas jusqu’où j’étais en vacances, car je serais rentré et je t’aurais tué directement… Dis-moi, tu as fait le ménage en dix jours, Dorian, le DJ Ridoo, il n’y a personne d’autre que tu aurais lâchement tué ? J’espère que tu n’as pas piqué dans les caisses sinon… Remarque, laisse tomber, je vais te tuer de toute façon, je préfère te le dire maintenant, que tu ne sois pas surpris le jour où ça arrivera…
- Mais pourquoi êtes-vous revenu plus tôt ?
- Ah… Ça te mène hein ?
Oh oui ça m’intriguait, je voulais savoir qui était le salaud qui m’avait dénoncé…
- Tu sais, Ramon, ton pote de toujours, c’est moi qui lui aie donné l’ordre de jouer ce rôle, tout était scellé depuis le début, tu crois vraiment que mes gardes du corps étaient assez cons pour être dupés, par toi. Tout était calculé : le dossier de Ramon n’était pas en haut de la pile par hasard, pour le rubik’s cube, c’est pareil ! En tuant ces deux hommes tu m’as quelque peu arrangé, par contre, tu t’es mis dans cette grosse merde tout seul ! Tu vois de quoi je veux parler ? Ta chère et tendre Océane est entre les griffes d’Enigma… Tout ça à cause d’un dossier jaune, le problème c’est que, CE dossier jaune, je l’ai en permanence sur moi… Mais je parle, je parle, tu veux peut-être dire quelque chose non ?
- Vous êtes la pire des crapules qui existent !
- Tu peux me tutoyer tu sais, tu as été moi pendant plus d’une semaine après tout… Et puis, pèse un peu tes mots, t’as pris un malin plaisir à la jouer la crapule ! Enfin… Grâce à Ramon, je me suis amusé cinq minutes…
- Sale tâche, il te fournissait des informations et toi tu vas le tuer…
- Comment es-tu au courant de ça ?
- Comme tu viens de le dire, je me suis fait passer pour toi, je connais donc pas mal de tes projets, notamment celui-ci.
- Essaye de divulguer cette information et dans deux jours je te donne à bouffer aux requins !
Je ne pouvais même pas faire chanter l’Arlequin avec ça, Ramon était un traître, et de toute façon, il ne m’aurait pas cru. Je fus emmené dans une salle sous l’escalier, une sorte de cellule, je passai la nuit là, assis sur une chaise humide, j’entendais des petits gémissements de rats, je ne dormis pas, je me lamentais sur mon sort… Ce jour-là, plus que les autres jours je maudissais cette pièce de deux euros. J’avais passé dix jours dans une chambre luxueuse et voila à quoi j’en étais réduit… Je somnolais sur une chaise miteuse, enfin bon, je l’avais bien cherché, je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Le lendemain, les rayons du soleil me réveillèrent et l’Arlequin ne tarda pas à rentrer dans la pièce, en me saluant, il m’administra un coup-de-poing dans le ventre, il me demanda aussi si j’avais bien dormi. Il me posa ensuite une question très simple, mais si singulière dans la bouche d’un homme aussi puissant que lui, il me demanda mon nom… Je refusai de lui donner, et là, il me lança quelque chose qui me fit tressaillir.
- Si tu as vu que j’allais tuer Ramon, tu as sûrement dû voir l’article sur sa mort, c’est pour ça que je veux ton nom, pour le titre de l’article !
Lui aussi était un monstre, pire que moi d’ailleurs. Tuer, toujours tuer, les gens de son espèce n’avait que ce mot-là à la bouche, ça faisait pitié. C’est à cause de personnes comme lui que le monde est si triste. Pourquoi ne pas vivre en harmonie avec tout le monde, ne faire de mal à personne. Ces gens-là ne savent que snober les autres en se baladant sur leur bateau appartement à longueur de journée. Enfin bref, je m’en fichais de tout cela désormais, c’était trop tard, dans une semaine, la vie allait s’arrêter pour moi… Je repris mes esprits, l’Arlequin était encore là, il me fixait avec ses grands yeux noirs… C’était mon nom qu’il m’avait demandé, c’est bien ça ? Mon nom… Je ne savais même plus comment je m’appelais… Ce nouveau monde m’avait fait un lavage de cerveau. Je cherchais… François ? Oui, François, c’est bien ça, François Delatombe ! Comment avais-je pu l’oublier !
- Je m’appelle François Delatombe, connard.
- Qu’as-tu dit ? François Delatombe ? C’est ça ?
- T’es sourd ou quoi ?
Au moment même où je lui avais dit mon nom, son visage s’était adouci, l’Arlequin était tout pâle, aux bords des larmes.
- François, qui est ton père ?
- Je ne sais pas, je ne l’ai jamais connu, et je ne préfère pas le connaître, je n’ai pas eu d’enfance à cause de lui.
Ça y est, il pleurait, il était tombé à terre, prêt à faire un malaise, il haleta :
- François, je suis sincèrement désolé de t’avoir abandonné.
- Qu’est-ce que tu racontes ?
J’avais à peine terminée ma question que je compris tout, mon père c’était lui ! Je pleurai aussi désormais… L’homme qui, il y a cinq minutes, voulait encore me tuer était mon père. Je n’en revenais, ce monde ne réservait vraiment que des surprises ! Bonnes ou mauvaises, mais en permanence des choses inattendues ! Nous ne savions pas quoi nous dire. Il n’avait même pas la force de me détacher pour me serrer dans ses bras, nous restâmes là, pendant plus d’une heure, à nous regarder. Puis, on se rendit dans son bureau et on parla, cependant, je le trouvais assez distant, l’émotion peut être ? On essayait tant bien que mal de rattraper ce temps perdu… Pour qui, pourquoi, toute la presse people espagnole avait été mise au courant, tous avaient publié une édition spéciale : « Coup de théâtre dans l’affaire Arlequin ». Nous avions beau être heureux, Océane était encore séquestrée, il fallait la sauver ! Vers vingt heures, on parla de ça tous les deux, mon père mit le cube sur son socle, le tableau pivota, blablabla, bref vous connaissez la suite… En ouvrant un des tiroirs du mur, il en sortit un dossier, même avant qu’il me dise ce que c’était, je le savais : le dossier Enigma ! Papa appela celle-ci tout de suite après pour lui donner un rendez-vous dans le but de lui donner le dossier. J’allais enfin revoir Océane. Le lendemain, on s’y rendit en limousine. Une belle grosse voiture qui consomme beaucoup, ça me manquait tout ça…
- Papa, elle fait quoi au juste cette « mademoiselle Enigma ».
- Elle ne fait rien, c’est une héritière. Elle possède tout ici, mais c’est seulement grâce à son père. Par contre, elle est très forte au poker !
- Mais à ce qu’on m’a dit, toi aussi tu joues bien…
- Je t’apprendrais…
Après vingt minutes de voiture, la limousine se stoppa devant un grand immeuble. C’est quoi cette blague ? Elle est héritière, ne fait rien de sa vie donc et elle a un hôtel particulier à Ibiza ? C’est n’importe quoi !
À l’accueil, une potiche blonde avait été posée là, comme un lampadaire, elle avait des lunettes D&G et mâchait du chewing-gum comme une vache, quand elle mit mon père dans son costume traditionnel, elle savait très bien de quoi il en retournait et elle appela sa patronne en catastrophe. Quelques minutes plus tard, on entendit derrière nous le « ding » d’un ascenseur, celui-ci était en verre, ça va, on ne se refuse rien... Une femme de taille moyenne, accompagnée de deux gardes du corps en sortit. Elle avait les cheveux bruns bouclés et des yeux noirs, comme ceux de l’Arlequin. Elle était magnifique, et elle paraissait très mystérieuse, elle n’était pas allée chercher loin son pseudo-professionnel.
- Ah, Gaspard, tu auras mis le temps, mais qui est ton ami ? Il se prend pour toi ou quoi ? Il ferait mieux d’arrêter, il ne t’arrive pas à la cheville…
Quelle conne… Comme je l’avais prévu, mon père rentra dans une colère noire :
- À vrai dire Mylène, c’est lui qui s’est pris pour moi pendant plus de dix jours, tu aurais pu remarquer la différence non ?
- Je ne comprends pas…
- Je t’expliquerais, ne t’en fais pas… Bon, où est sa copine ?
- Tu crois que c’est aussi simple que ça ? Tu m’as apporté le dossier, certes, mais avec beaucoup de retard ! Pour la récupérer, tu devras me battre au poker !
Eh ben, on n’était pas dans la m****, le poker… Quel jeu ennuyeux ! J’avais beau chercher, je n’avais jamais compris les règles…
On se rendit au deuxième étage, dans une grande salle de jeu, Océane était ligotée sur une chaise, elle était très pâle, et avait des valises sous les yeux… Je ne pus m'empêcher d’aller la voir. Mon père proposa une alternative :
- Mylène, laisse les allers dehors tous les deux pendant que l’on joue, si je perds, tu la récupères, mais laisse les au moins deux heures tout seul. De toute façon, j’ai à te parler en privé, ils doivent partir !
- Très bien Gaspard… Libérez-la, les gars…
Nous sortîmes de la salle, nous étions enfin seuls, je m’en approchai pour l’embrasser, j’avais perdu le goût de ses lèvres après tout ce temps. Mais celle-ci me décocha une gifle monumentale ! Quelles retrouvailles !
- Imposteur, pourquoi as-tu pris la place de l’Arlequin ?
C’est parti pour le quart d’heure émotion :
- Je l’ai fait pour voyager, pour quitter mon monde pour le sien, pour vivre une aventure. Mais je me suis rendu compte au fil des jours, que tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi. Je t’ai aperçu par la lucarne du sous-sol de la boîte de nuit, ça a été le coup de foudre, tous les risques que j’ai pris furent immenses, mais je les ai pris pour toi. Ça y est, ce voyage est fini, mais je me suis rendu compte que le plus beau des voyages que j’ai réalisé, c’est quand j’ai exploré ton cœur…
Elle me sauta dessus, c’était prévu, il faut dire aussi que j’ai géré sur la dernière phrase… J’étais fier de moi, quel beau discours ! Je l’avais récupéré, ouf. Durant mon imposture, j’avais amassé énormément d’argent que j’avais placé sur un compte en Suisse, juste pour elle, je devais lui donner le numéro du compte avant de mourir, mais comme maintenant, tous les risques étaient écartés, nous allons le dépenser ensemble cet argent ! Mais je ne sais pas comme l’annoncer à mon père, un vrai gamin… C’est décidé : plus jamais on ne se quittera ! Les deux semaines qui suivirent passèrent à vitesse grande V. Mais un matin, alors que je me baladais en peignoir dans l’hôtel, je tombai sur l’article de journal que je redoutais tant, celui qui annonçait la mort de Ramon. Papa ne m’avait pas écouté, ça avait donné lieu à une grande engueulade sur le sujet. Après que l’on se soit réconcilié, il me proposa de faire une petite soirée poker ou d’autres jeux de ce type, ce soir, à la boîte de nuit, avec des actionnaires…
Et voila comment je suis arrivé là, je suis assis autour de cette table, un flingue posé sur ma tempe, j’en ai parcouru du chemin en un mois ! Je me demande combien de temps je peux rester conscient si je perds, question stupide… Bon allez, je me lance, j’ai les mains moites, j’ai peur de perdre, peur de la mort… J’y vais cette fois ! Je pose le doigt sur la détente et appuie dessus, cela produisit une détonation, du sang s’échappait de ma gorge, je suffoque, à peine une seconde et tout était finis. Je le sais, j’allais mourir. Peu après, mon père se mit à parler, je ne sais pas si je l’entends vraiment mais voila ce qu’il a dit :
- Petit con, on ne rivalise avec l’Arlequin, Ramon, sors de ta cachette, il est mort ! Bravo, ton plan a marché de A à Z, il a vraiment cru que tu étais mort et vraiment cru que j’étais son père, comme quoi, le théâtre, ça sert toujours ! Pour en revenir au colt, il n’a même pas pris le temps de le regarder, il aurait remarqué que j’ai malencontreusement glissé six balles dans le barillet. Franchement, comment a-t-il pu croire que j’étais son père ? Évacuez-moi ça de la table de jeu, on se refait une partie de poker ! Il a enfin compris, un peu trop tard, malheureusement, que c’est moi, le Boss !
Durant ces dernières secondes de lucidité, j’en vins à une conclusion : « Sur cette île, tout va trop vite, même la vie ! »