Jamais, depuis notre installation sur l'île, aucun bateau ne s'était aventuré sur nos rivages. L'océan était houleux et de nombreux récifs ceinturaient Müurma.
Après une courte concertation, le navire approchant, nous décidâmes d'allumer un feu sur l'unique plage de l'île. Le magnifique trois-mâts s'immobilisa, plusieurs canots furent jetés à la mer et nous vîmes débarquer une trentaine d'hommes. Nos connaissances des langues nous permit de dialoguer avec eux. Outre le capitaine et son équipage, se trouvaient là un médecin, un botaniste, un astronome, un zoologue et un géographe. Ils se révélèrent être d'agréables compagnons et nous leur offrîmes l'hospitalité pour le temps qu'il leur siérait.
Le soir du troisième jour de leur présence sur l'île, j'étais de garde et passai la nuit à sonder l'immensité de l'océan. Mon âme embrassait les cieux profonds et étoilés.
A l'aube, je rejoignis notre clairière. Ce que je découvris me glaça le sang...
Mes soeurs gisaient sur le sol. Elles formaient un cercle parfait, unies par les pieds. Je savais que ce rituel signifiait qu'elles s'étaient donné la mort. Je m'approchai et tournai lentement autour d'elles. Chaque visage était blessé, ensanglanté, tuméfié. A l'instant où je compris ce qui s'était passé, mon coeur explosa de haine.
Je me dirigeai vers le campement des hommes. Ils dormaient. Je prononçai alors la formule magique. Dès lors, ils m'obéirent comme des chiens. Je les réveillai et leur sommais de me suivre. Dociles, leurs pas emboîtèrent les miens. Je les menai jusqu'à la plage et sur mon ordre, ils rejoignirent le navire.
Je revins sur mes pas. Les larmes inondaient mon visage. Ce que je devais accomplir maintenant me terrifiait.
Je pénétrai dans le temple pour y prendre une urne sacrée et ma dague. Puis je rejoignis mes soeurs. Je me plaçai au centre du cercle et chantai une prière. Quand j'eus fini, je me dirigeai vers Yohatée, m'agenouillai à son côté et pratiquai une longue incision sur son sein gauche. J'y plongeai la main et arrachai son coeur que je déposai dans l'urne. Je fis de même à chacune de mes compagnes.
Puis, je me replaçai au centre et tendis l'urne face au soleil. Mon chant s'éleva et le vent mena au ciel mes prières. Dans un halo de lumière, surgissant de l'urne un à un, s'envolèrent les oiseaux de la Mort. Ils tournoyèrent un instant au dessus de ma tête, puis partirent vers le rivage en direction du navire.