La Mort
Approche vieil homme !
Prends appui sur ta canne de ta main tremblante
Et traîne ta branlante carcasse jusqu’à moi,
Car j’ai à te révéler une chose !
Ecoute, arrive l’heure à laquelle
La mort va te faire son dernier croche-patte.
Tu la connais déjà cette Dame porteuse de voiles noirs
Dont l’outil à longue lame fauche sans retenue.
Souvent, elle a toqué à la porte de tes voisins
Pour te voler un ami,
Emporter une femme ou un enfant.
Plusieurs fois aussi, elle est venue dans ta maison
Et comme dans ton village
Personne n’est plus âgé que toi,
Elle y a pris tout ce qui y était à prendre,
Tout ce qui était animé par la vie
Et qui avait un prix pour toi.
Des êtres sur qui tu as pleuré alors… parfois.
Combien de trous as-tu creusés dans la terre de ton jardin ?
Combien de cadavres décrépis y reposent à présent ?
Vestiges de chiens, de chats, de fœtus de toutes sortes.
Combien de corbillards as-tu suivis d’un pas lent
En baissant la tête pour qu’on ne remarque pas ton œil sec ?
Oh, oui, tu la connais, la Funeste amoureuse.
Souviens-toi de ce jour où, tremblant de fièvre,
Tu la vis apparaître et tirer sur ton drap.
Souviens-toi également de cet autre où,
Errant dans le pays en guerre,
Un ennemi qu’elle avait mis sur ta route
Te mit en joue à dix mètres,
Puis eut pitié et te fit grâce
En entendant tes prières,
En voyant ta peur et tes larmes,
Juste avant que tu ne pointes ton arme vers lui
Et le tue en retour pour son merci.
Souviens-toi aussi de cet instant
Puisé dans l’immensité des étés
Où, enfant, l’eau de la rivière s’était refermée sur toi
Comme sa main noire et puissante.
N’est-ce pas celui qui t’a sauvé ce jour
Que tu livras aux tortionnaires
Quand le temps gris de la mort en arme fut venu ?
À combien de bals, celle qui répond à mille noms
T’a-t-elle convié d’un signe de main,
D’un sourire entendu et décharné,
D’un regard profond de nuit exempt de lueurs,
Sans que tu daignes répondre à son invite ?
Combien de rendez-vous manqués aura-t-il fallu
Pour qu’enfin tu sois à l’heure ?
Même si tu ne peux t’en empêcher en m’écoutant,
Ne tremble pas, vieillard.
Tu l’as bien servie.
De nombreuses fois, tu as été son bras,
Pour t’en remercier, c’est donc dans ton lit
Comme un bien portant qu’elle viendra te prendre,
Alors que tu dormiras.
DRK