J’avais finalement fini par me persuader que je me devais de restituer la clé à Nadine, enfin, à sa propriétaire présumée. J’avais encore tout mon mardi, autant l’employer de façon constructive.

La veille j’étais donc allée voir sur internet les horaires de bus, et il était possible que j’y sois en début d’après-midi, retour 20 heures, oui certes cela laissait une longue longue après-midi à meubler, mais tant pis, je m’étais décidée.
Après tout qu’aurais-je fait de mieux à la maison ?

C’était sans compter la surprise de taille que me réservait la soirée…

Taille XL pour être précise. Grand, brun , mal rasé et solidement campé dans des vêtements que je ne lui connaissais pas, d’ailleurs je ne l’avait pas reconnu lui non plus, faut dire que l’animal avait sonné, carillonné, tambouriné à ma porte à presque 23 heures, et qu’à cette heure-ci, moi j’étais déjà en train de ronfloter, blottie dans les doux bras de Morphée, les seuls dont j’éprouvais régulièrement la tendresse, m’enfin ça vous le savez. A peine les yeux en face des trous, dans mon pyjama en pilou, je clignotais donc comme une vieille chouette pendant que de la main il tentait de débloquer la chaînette de ma porte d’entrée :
-Isa…laisse-moi entrer !
- Fred ? dis-je connement - vu l’heure et les circonstance on m’excusera mais je ne trouvais ton plus adapté. Encore plus connement j’ajoutai, faisant preuve de l’habituel sens de l’à- propos qui me caractérise : t’es pas à Berlin ?
-ben non, tu vois bien ; fait froid là, je peux entrer ? Insistait-il, pendant que…horreur et damnation !!! Je me voyais enfin telle que je devais apparaître dans son champ de vision, avec mon pyjama de mémé, hirsute et poilue des mollets, les lunettes de travers et le regard torve derrière…Mais il avait vraiment l’air de se cailler, et puis je n’étais pas suffisamment réveillée pour résister , j’avais tellement l’habitude de répondre par l’affirmative à la moindre de ses demandes…Assez rares les demandes en questions, bisannuelles, comme la campanule ou l’ellébore, voire tri, comme le tri sélectif sauf que moi j’ai jamais trop été sélective, plutôt rétive… cela n’enlevait rien au fait qu’il avait toujours su faire de moi ce qu’il voulait .

Je retirai donc la chaînette et sans un mot, pour ne pas en rajouter, je le laissai passer ma porte. Montrant d’un geste résigné le canapé du salon je me dirigeai quant à moi vers la chambre à coucher, espérant que les explications attendraient le lendemain matin. Comme j’avais du mal à encore réaliser, peut-être arriverais-je à persuader mon corps qu’il dormait encore et ainsi à reprendre sans trop de dommage mon rêve où je l’avais laissé ! Pas de bossu moldave ni de fougères à la bouche béante cette fois, non, un joli rêve chaud et douillet, d’un corps contre le mien pressé ; sans pour autant que ce corps ait un visage je le percevais animé de palpitantes et douces intentions à mon égard…

Ça c’était donc avant d’entendre sonner, et avant l’invasion teutonne de Fred dans mon salon.

Mais il faut croire que la soirée n’en avait pas fini de me surprendre. Il m’avait quasiment rattrapée au vol, et je m’étais retrouvée le nez dans son blouson encore empli des odeurs et du froid de la nuit ; oui, c’est vrai qu’il faisait froid mais tout à coup une chaleur que je connaissais trop bien me coupait les jambes. Au diable si j’y comprenais quelque chose mais quand nous sommes tombés entremêlés dans les coussins du canapé, j’avoue que cela m’était complètement égal, que mon esprit rationnel avait depuis longtemps baissé sa garde, et gisait roulé en boule à côté de mon pyjama en pilou.