Aimer, souffrir et faire souffrir, c'est une histoire sans fin. Aussitôt finie, elle recommence. Même acteur, même démarche, même envie. Et pourtant, impossible d'arrêter cette routine au terrible roulement. Terrible, c'est le mot.
Mais je me présente : Benjamin, séducteur en pot, parce qu'en herbe, ça fait jeune plante et parce que je suis empoté à Poitiers pour le moment. Ville morne dénuée d'intérêt à mes yeux. Les rares femmes qui la peuplent sont trop laides ou trop jeunes, je ne compte pas y faire de vieux os. Paris est bien mieux lotie mais mon histoire m'a extirpé de son cocon duveteux.
Alors je décrépis dans une ville morne, attendant mon heure. Libérez-moi au milieu d'un bal de promo, d'une soirée étudiante ou dans un wagon de métro parisien, vous regretterez de n'avoir été que simple spectatrice. Je ne dis rien des spectateurs à qui cela échappe généralement totalement, trop occupés à penser qu'ils dirigent leur vie sans savoir que dans l'ombre, la femme est au pouvoir. Jusqu'à ce qu'elle soit séduite.
J'en fais une affaire quotidienne. Est-ce dû au romantisme latent de ma bibliothèque ou à mon éducation religieuse, je l'ignore encore, mais j'ai cette délicate habitude de ne séduire qu'une femme à la fois. La curiosité me pousse à trouver en leur passage quelque parfum de bonheur, ou au moins de plaisir. Par chance ou par usure, j'en trouve presque toujours. C'est sans compter bien sûr les mères au foyer complètement sèches, vidées de leurs hormones et abruties par leur progéniture. A celles-ci, je souhaite d'être un jour séduites par un plus courageux que moi. Revenons à nos brebis, ces créatures naïves et a priori sans défenses. Si je séduis, écrivais-je, c'est par curiosité et par plaisir. « Et si celle-ci pouvait me plaire autant à l'intérieur qu'à l'extérieur ? » reste la question principale du séducteur. Autant être honnête : elle se confirme trop rarement. Et lorsque je pense la voir résolue, je tombe sur une couche inconnue de ladite demoiselle.
Là commence la terreur. Celle que les mères racontent à leur fille pour les mettre en garde. L'objet de séduction se révèle sous sa carapace de fard et de sourires, il devient trouble et indistinct. Parfois même fade. D'autres fois encore, mais il faut s'être laissé berner plus en amont, on découvre une personne méprisable, avilie d'autant plus par ce masque prétentieux qu'est sa beauté.
Le séducteur est blessé dans sa fierté. Comment a-t-il pu se tromper à ce point ? Et toi, objet de désir et de convoitise, comment peux-tu étaler ainsi ta beauté au plein jour alors que tu n'es que toi ? Et lui, qui est-il pour en juger, pourrait rétorquer l'objet, en quoi serait-il une référence ? La terreur est en place. Insultes, pleurs, haine, douleur. Aimer, souffrir et faire souffrir.
Aimer et souffrir, j'ai l'habitude. Ce n'est plus vraiment un problème, j'ai appris à me défendre de l'un et de l'autre. Mais en vérité, faire souffrir commence à m'insupporter. Je ferai encore souffrir même après ma mort, c'est certain, mais autant l'éviter au maximum d'ici là. Pourtant, je séduis toujours, différemment. Je me satisfais d'un rire, d'un regard. Cela va parfois jusqu'à un mot doux mais j'arrête là l'aventure. Je ne veux plus être cet homme terrible, cet homme qui fait souffrir. Femmes, riez, souriez-moi, parlez-moi de cet homme que vous aimiez bien et qui me ressemble. Je ne désire rien de plus.
Mais lorsque nous nous connaîtrons, quand le masque tombera et quand la carapace cassera, je te laisserai me séduire, terriblement.
Alors tu seras maîtresse de la terreur.