__________________Le crayon_________(8.)
Quelques instants plus tard, elle arriva devant sa porte. Elle s’apprêtait à introduire la clef dans la serrure lorsqu’un nouveau vent d’appréhension prit possession de son être. Sur le moment, elle ne comprit pas d’où lui venait cette inquiétude puis elle se souvint de l’incident qui était survenu alors qu’elle se trouvait dans l’ascenseur. Elle avait eu si peur quand il avait stoppé sa course. Sans doute éprouvait-elle le contrecoup de la montée d’adrénaline que cette micropanne avait déclenchée en elle. Elle glissa la clef dans le trou qui lui était destiné et la tourna jusqu’à ce que ce mouvement débloque la clenche puis avec délicatesse elle poussa la porte. Elle entra avec précaution. À l’intérieur, rien ne semblait avoir changé. Les meubles étaient toujours à la même place, impeccablement alignés à l’endroit où elle les avait toujours vus, immaculés et resplendissants comme s’ils avaient été achetés la veille. Il y eut un très léger courant d’air, la porte claqua dans son dos. Elle sursauta. Les fenêtres étaient restées ouvertes. Bien que l’appartement était équipé d’un système d’air conditionné, par souci d’économie, ses parents ne le mettaient presque jamais en marche ; pas lorsque l’appartement demeurait vide en tout cas. Cela expliquait pourquoi dans toutes les pièces, au vu de la lourde chaleur qu’il faisait au-dehors, chaque ouverture béait sur le ciel sans nuage. Rapidement, mais avec prudence, Oriane fit le tour de l’appartement, jetant un coup d’œil dans chaque pièce afin de s’assurer qu’aucun étranger ne s’y était introduit, et cela malgré la certitude que cette éventualité était totalement impossible. En effet, elle ne découvrit personne, pas même dans les toilettes. Il lui vint bien l’idée d’ouvrir les placards, mais elle se convainquit alors de faire preuve d’un peu de rationalité et de maîtriser ses émotions. Elle prit une grande inspiration puis se dirigea vers la salle de bain où elle se lava consciencieusement les mains. Elle se réfugia ensuite dans sa chambre et ouvrit le roman qu’elle avait laissé en plan le matin. « — Page 122 ! », pensa-t-elle. Elle ne faisait jamais usage d’un marque-page, sous la recommandation de son père. « — Un petit exercice pour entraîner ta mémoire ! », lui avait-il dit. Au début, elle avait subi quelques déconvenues à procéder ainsi, mais depuis de nombreux mois, il ne lui arrivait plus de se tromper. C’était un peu comme si un mécanisme s’enclenchait automatiquement dans son cerveau lorsqu’elle ouvrait le livre qui avait sa préférence du moment. Comme elle n’avait guère d’autres distractions à la maison, elle occupait beaucoup de son temps à lire. Sa préférence allait aux romans et tous les genres lui plaisaient à condition bien entendu que l’éloquence de l’auteur lui permette de s’envoler avec légèreté dans le monde qu’il lui proposait de découvrir. Lectrice de longue date et bien que jeune encore, elle ne pouvait plus se contenter des livres édités dans des collections spécifiquement destinées aux enfants de son âge, c’est pourquoi, on retrouvait dans sa bibliothèque personnelle beaucoup d’ouvrages de grands auteurs des siècles passés, mais aussi d’autres beaucoup plus récents dont la trame souvent s’adressait aux adultes. Par les livres, elle vivait dans un monde beaucoup plus captivant que celui de la réalité dans laquelle elle évoluait jour après jour. Peut-être est-ce pour cette raison, à cause de cette passion pour les lettres et la plongée profonde et fantasmagorique où celles-ci l’entraînaient, qu’elle affichait parfois un air étrangement rêveur.