Philippe Invité
| Sujet: Ultimes pensées Mer 2 Fév - 22:00 | |
| Qui suis-je sinon un fétu de paille emporté par le vent mauvais ? Je me rends compte à présent que ma vie ne trouve de sens que dans l’inlassable questionnement sur l’existence… mon existence. Alors que les ténèbres envahissent ce cloître où je suis involontairement encastré, je me dis que mon essence ne nait que dans l’inépuisable source de l’imaginaire. Ma réalité se borne à quelques mètres de béton renforcés par des barreaux qui glacent mes jours d’un effroi effrayant. Puisque me voici condamné à l’immobilité, je rêve à des voyages par-delà les frontières du réel, ces territoires mystérieux que tout un chacun a un jour rêvé d’explorer. Mais mes rêves se heurtent à la réalité cruelle et je demeure prostré dans cette solitude abyssale qui fait de moi une rose rubiconde prisonnière d’une muraille de neige.
Ma mémoire joue une symphonie pathétique, celle d’une enfance lointaine qui jouit d’une nostalgie larmoyante. Mes premiers souvenirs me ramènent à un salon fait de bric et de broc, ces chez-soi artificiels composés de meubles et d’objets du tout-venant. Certes, je le reconnais, mes parents ne disposaient que de peu de moyens et vivaient au jour le jour avec les artifices du superficiel. Pour autant, autant qu’il m’en souvienne, je ne garde que des souvenirs heureux de ces moments passés avec eux dans la splendeur de l’amour paupérisé. Un bout de bois devenait un canon surpuissant capable de détruire les forts les plus solides, une boule de laine se métamorphosait en poupée de porcelaine qui valsait sous l’embrun irisé d’une symphonie, Un CD usagé se transformait en un bolide plongé à toute vitesse dans les rues symétriques de New-York. J’étais heureux malgré l’économie, un enfant innocent, si innocent, qui barbotait dans un océan de félicité.
Dix heures du soir. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas vu le soleil, mais j’en devine l’éclat dans les yeux de mes gardiens, ceux qui rêvent déjà de leur soirée en famille après des heures de travail à me surveiller. Moi et les autres. Je n’ai de notion du temps que dans la vision de cette montre-horloge à quelques mètres de ma cellule. Comme il est étrange de constater que le temps se fait long quand on compte les secondes avec frayeur. Après tant d’années passées dans la lugubre cellule qui est devenue ma compagne d’infortunes, j’en viens à me dire que c’est la lumière qui m’a toujours manqué. La lumière d’une amitié réelle qui aurait su m’éloigner de toutes ces racailles qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui, la lumière d’une femme aimante qui aurait pu me donner ce que j’ai toujours recherché : un écho à mes suppliques sentimentales, la lumière d’un enfant à la blonditude angélique qui aurait su me prodiguer l’innocence qui me manque depuis ces années d’enfermement. Le scintillement stérile des néons répondent à mes attentes comme le venin d’une amante à l’heure de la rupture.
Les images défilent dans ma tête à l’instar d’une musique qui se répandrait dans un couloir ténébreux. Je me rappelle mon adolescence étrange où l’inconnue était une quête existentielle. Ces drogues de poudre ou de paillettes qui faisaient de moi un oiseau plongé dans les méandres de l’univers, ces femmes-enfants dont la rousseur se faisait douceur sur le velours de ma peau transie, et tous ces tiroirs-caisses qui tintaient sur le regard apeuré des commerçants quand je pointais sur eux ma lame ou mon flingue. Dollars pour un taulard, Euros pour un zéro, j’ai passé plus de nuits derrière les grilles d’une prison que dans le lit douillet de ma maison. Etais-je mauvais ? Je ne le sais pas. Tout juste un humain qui ne trouvait de mots que dans l’expression de la violence sous toutes ces formes. J’ai fait pleurer mes parents par mes bêtises, j’ai fait rire mes juges devant mon innocence… d’esprit. Quoi qu’il en soit, les années ont passé et m’ont bâti tel que je suis aujourd’hui, sans artifices, tout juste moi avec mes qualités et mes défauts, mes certitudes et mes doutes, mes joies et mes souffrances, mes certitudes et mes peurs. Et me voilà aujourd’hui.
La ronde de onze heures piétine mes derniers espoirs sous un fatras de « clacs » talonnés. La lettre est posée sur mon lit, comme ça, sans la moindre esthétique sinon celle de la tendresse. Je la prends en mains. Elle m’a écrit. Encore une fois. Une dernière fois. Une femme parmi d’autres, divorcée et sans enfants, là-bas, au beau milieu de Wyoming. Pourquoi elle ? Pourquoi moi ? Ce fut une première lettre, envoyée au hasard à la prison mais qui m’avait toujours été destinée. Et puis une autre, puis une autre, puis encore une autre ; tous ces mots qui, couchés sur un papier fané, se sont déversées sur mon cœur esseulé. Nous fîmes connaissance, nous nous sommes découverts, nous avons appris à nous tolérer, nous accepter, et enfin nous aimer. Elle est ma seule fenêtre vers l’extérieur, cet ineffable sourire qui luit par-delà les cimes de la souffrance. Nous nous écrivons tous les jours, dans un inlassable flot de sentiments aigus, en nous adressant les mots les plus doux, les plus tendres, sans qu’aucune barrière ne nous bloque sinon celle du regard des gardiens qui lisent nos amourettes d’un œil avide. Elle me comprend, elle connait mes doutes et mes tortures. Elle sait me prodiguer le baume du bonheur quand se répand la souffrance. Et à l’heure où sonne le glas, je lis ces baisers encrés comme l’ultime ravissement de mes sens.
Quelques photos jaunies font rejaillir en moi les moments d’avant, ceux où je pouvais déambuler dans les rues sans boulet à mes pieds. Je dois l’avouer avec honte : j’étais un homme à femme. Je les collectionnais comme on accumule des timbres, les unes après les autres, ayant de l’intérêt pour elles durant une petite période avant de passer à une autre. Non point que je ne les ai pas aimés, mais chaque corps était une contrée inconnue que j’explorais avec soif de connaissance. J’y ai découvert le bonheur et la souffrance, la compréhension et le mépris, l’amour et la haine. Pour autant – je m’en rends compte aujourd’hui -, jamais je n’ai pu aimer une femme pleinement, seulement goûter au fruit défendu puis le délaissant pour un autre plus attrayant. Au fond, j’étais seul dans leurs bras, immensément seul. Peut-être est-ce à cause de cela que je fuyais sans cesse vers la pénombre des bars où se déversait le feu de l’interdit. Je me sentais entouré par tous ces pochards qui ne se rendaient même pas compte que j’existais mais qui me faisait croire que je me reflétais dans leurs yeux. Je dois le reconnaître aujourd’hui : je n’ai jamais trouvé d’écho, juste des mirages dorés.
Je regrette, je regrette plus que tout. Une forêt de têtes beuglait aux tréfonds de ce bar et je m’étais mêlé à la masse en l’imitant totalement. Un verre de trop, un mot de trop, un coup de trop… et le tournoiement des gyrophares dans la nuit. Je ne voulais pas le tuer, juste lui asséner ma souffrance par une violence naïve. Mais il est mort et me voilà bientôt sans vie. Minuit lugubre dans mes oreilles, alors que claquent les bottes dans le couloir. Ils viennent me chercher. Qui sont-ils ? Deux ou trois gardiens uniformisés qui agissent comme des automates alors qu’ils réalisent un acte sans nom, un prélat quelconque qui va m’asséner des sermons à deux sous tandis qu’on m’enchaînera les pieds et les mains, le directeur de la prison qui prendra son air le plus triste pour me dire que mon derniers recours n’a pas abouti. Des guignols. Des guignols dans le grand carnaval de la tuerie barbare. Le cliquetis de la clé dans la serrure résonne en moi comme un tourbillon de lames acérés, le bruit des barreaux qui s’écartent crissent et font se répandre une charge de dix mille volts dans ma colonne vertébrale, le « c’est l’heure » du directeur glace mon sang au point que je ne puis plus ressentir le bout de mes membres. C’est la fin.
Une cellule vide où git une lettre ouverte sur le lit, un couloir long et blanchâtre où résonne encore mes derniers pas et, par-delà la frontière de ces murs recouvert de chaux vive, la mort impitoyable qui m’attend. Ce n’est pourtant qu’une petite pièce de rien de tout à travers la vitre de laquelle des dizaines de yeux vont s’abreuver de mon agonie, une petite pièce vide sinon la présence d’un meuble si banal, une petite pièce vide où trône dans sa luxuriance morbide une chaise électrique. |
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féfée Poète
Messages : 2481 Date d'inscription : 10/11/2010
| Sujet: Re: Ultimes pensées Jeu 3 Fév - 0:09 | |
| J'ai adoré cet écrit ! On se glisse si bien dans le personnage, on le comprend si bien, on regrette avec lui l'échec de sa vie, et on s'émeut de cet amour tardif qui arrive trop tard... Merci pour le partage |
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lutece Administrateur-Poète
Messages : 3375 Date d'inscription : 07/11/2010 Age : 67 Localisation : strasbourg
| Sujet: Re: Ultimes pensées Jeu 3 Fév - 11:37 | |
| Récit triste d'une vie gâchée par le manque d'amour donné et reçu. J'ai aimé la puissance de tes mots. Merci à toi, petit scribe de nous emporter, une fois de plus à la rencontre d'une vie ou plutôt d'une non vie. |
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Damona Morrigan Fondatrice d'Alchemypoètes
Messages : 4544 Date d'inscription : 06/11/2010 Localisation : Dans la cabane de la sorcière blanche sur l'île d'Emeraude
| Sujet: Re: Ultimes pensées Mer 9 Fév - 13:42 | |
| Un texte magistralement mené, jusqu'au bout ton personnage nous emporte dans l'univers émotionnel des dernières minutes de sa vie. Un texte fort qui soulève la réflexion sur la peine de mort pratiquée dans certains états d'Amérique ou ailleurs et toujours pas abolie à ce jour. Merci beaucoup mon petit scribe.
Alerte, alerte, tu es passé de l'autre côté de la cellule en "invité" !!! L'homme n'a pas échappé à son destin mais le petit scribe nous a échappé !!! Nous t'implorons de revenir parmi nous et nous te présentons toutes nos excuses pour cet incident impardonnable ! Mon petit scribe adoré, reviens-nous au plus vite, il te faudra te donner la peine de te réinscrire Pardon ! |
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Philippe W Poète
Messages : 41 Date d'inscription : 10/02/2011 Age : 48 Localisation : Colmar
| Sujet: Re: Ultimes pensées Jeu 10 Fév - 20:55 | |
| Merci à vous trois. C'est un texte qui m'est venu sous l'appel d'une inspiration retrouvée. Cet homme^, c'est un peu moi, même si son parcours et son destin diffère du mien. Au fond, dans chacun de mes textex, il y a un peu de moi, de manière latente ou patente.
Oui, je me suis réinscrit après que la brave Gaby m'ait supplié de la pardonner de m'avoir rejetté aux enfers. Je lui pardonne et l'embrasse très fort. Heureux de vous retrouver. |
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Apolline Poète
Messages : 626 Date d'inscription : 23/11/2010 Age : 67 Localisation : Moselle
| Sujet: Re: Ultimes pensées Ven 11 Fév - 0:18 | |
| Quel texte fort et terrible!!! Magnifiquement écrit. J'aime beaucoup. Merci. |
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Philippe W Poète
Messages : 41 Date d'inscription : 10/02/2011 Age : 48 Localisation : Colmar
| Sujet: Re: Ultimes pensées Mar 15 Fév - 19:46 | |
| Merci à toi Apolline. Ce texte, c'est un peu moi dans un lieu et un temps différent. Chaque écraivain met un peu de lui dans chacune de ses oeuvres. |
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| Sujet: Re: Ultimes pensées | |
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