_____________________L' Immortel_________________
Où et quand était-il né exactement ? Lui ne s’en souvenait pas vraiment. D’ailleurs, qui peut se vanter de s’en souvenir sans mentir ? Il ne se souvenait pas non plus de ses premières années. Les images les plus anciennes qui survivaient encore dans sa mémoire remontaient à une époque à laquelle il ne devait pas avoir moins de quatorze ans. L’âge où, dans ces temps lointains et dans le pays sauvage dans lequel il vivait, l’on devenait un homme. C’était la nuit, une nuit froide et enneigée. Un énorme brasier brûlait réchauffant la foule des siens qui s’étaient réunis ce soir-là pour fêter l’avènement d’un nouveau soleil. Bientôt, les arbres des forêts allaient reverdir, c’était la promesse que faisait le ciel, et cette perspective mettait les cœurs en joie. Les temps obscurs allaient laisser la place peu à peu à celui de la lumière. Le jour allait s’étirer comme au sortir d’un long sommeil et lentement reconquérir le monde ramenant avec lui une douce chaleur, une beauté sans égale et une riche profusion des choses. Voilà pourquoi, en ce soir, sous le conseil des mages, l’on dansait et faisait une ronde autour des hautes flammes en suivant des yeux les brandons, messagers rougeoyants et bienfaisants, qui s’échappaient et montaient tout droit au ciel vers le pays des dieux. Lui n’était qu’un regard ébloui parmi d’autres. Là s’arrêtait le souvenir.
Le second souvenir le plus ancien concernait une fille de son âge ou peut-être plus jeune et l’émoi qu’elle avait fait naître en lui. Le temps du soleil était venu. Partout, la végétation avait remplacé la neige et recouvert la terre de verts brillants. Les oiseaux dans les branches avaient construit des nids et dans la forêt résonnait le pépiement affamé de leurs petits. Des myriades d’insectes avaient conquis le monde des plaines et des fleurs. C’était le temps où s’embrasait le cœur des jeunes gens. Elle était belle, belle comme une enfant aux yeux de femme, et en lui un feu s’était allumé à sa vue. D’où venait-elle ? Il ne s’en souvenait plus, comme il ne se souvenait plus avec exactitude des traits de son visage, ni de la couleur de ses iris, ni de celle de sa chevelure longue et abondante. Elle était belle, voilà tout ce que lui disait sa mémoire. Elle était belle et avait existé. Elle devait avoir eu un nom, mais lui aussi s’était évanoui dans les méandres du temps. Alors, que s’était-il passé avec cette jeune beauté ? Avaient-ils échangé plus qu’une caresse ?
Il y avait eu une femme aussi, plus tard, jolie et forte, possédant des hanches larges, des seins gonflés. Lui était devenu homme. Elle lui avait donné son premier fils, puis d’autres. Certains étaient morts pendant l’enfance, d’autres avaient sans doute atteint le plus vieil âge, mais lui avait quitté les lieux depuis longtemps. Son premier fils s’appelait Mirman. Il était devenu un grand chef de guerre lorsqu’il eut grandi, un tueur d’étrangers, et pour cela de tous il était respecté, adulé presque. On le croyait devenu un demi-dieu. On le disait l’amant de la déesse noire de la mort. Peut-être un autre dieu prit-il ombrage de sa renommée, celui du ciel et du tonnerre, disait-on, car un jour, alors que Mirman menait ses fidèles guerriers vers une victoire certaine, qu’ils traversaient une vaste plaine au-delà de laquelle s’était tapi l’ennemi, la foudre s’était abattue sur lui et l’avait fendu en deux en faisant grésiller ses chairs. La déroute avait été totale à la suite de ce foudroiement. Les dieux avaient changé de camp et leur bon vouloir traçait la limite du pouvoir des hommes.
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